Le processus d’évaluation et de sélection des potentiels en entreprise

Disposer dans son entreprise des collaborateurs ayant les connaissances, les compétences, le potentiel et les comportements requis constitue aujourd’hui l’une des clés de différenciation et de succès par rapport à la concurrence, mais surtout pour faire face à l’évolution, au progrès technologique, à la concurrence à venir.

Par Liliane Held-Khawam, auteur du livre « Le Management Par le Coaching (MPC): le cadre à la recherche de ses repères »

Dans un marché où les modèles-types n’existent plus, et où la planification à long terme devient extrêmement difficile, les chances de succès résident de plus en plus dans un potentiel humain et technologique en évolutionPour cela, l’un des aspects essentiels d’une gestion des ressources humaines réside dans une sélection dynamique des cadres et des spécialistes de l’entreprise. La sélection stricte (choisi ou non) et statique (le bon choix d’aujourd’hui sera le bon choix de demain) n’est plus adaptée aux besoins de l’environnement, qu’il soit externe (marché) ou interne.

Le but de cet article consiste à expliciter la problématique de la sélection, et quelques conditions essentielles pour une sélection dynamique, humaine et efficace. Nous distinguerons deux niveaux de sélection:

  • externe (recrutement)
  • interne (promotion, transferts, « inplacement »)

Nombre d’entreprises privilégient de plus en plus la détection des potentiels à l’interne, et ceci pour différentes raisons:

  • réduction des coûts de recrutement et d’intégration
  • repositionnement de certains collaborateurs, suite à la diminution d’effectifs dans certains départements
  • valorisation des potentiels internes, qui sont déjà en adéquation avec la culture d’entreprise.

La sélection interne est similaire, dans son principe général, à  la sélection externe. Elle est cependant plus délicate à gérer, notamment en cas de non-sélection, sur le plan de la motivation interne.

La sélection: enjeux et risques

En entreprise, un processus de sélection est souvent mis en place dans les cas suivants:

  • lorsque l’on choisit au sein d’un groupe le futur chef
  • lorsque l’on choisit la personne à qui l’on va confier une tâche spéciale
  • lorsque l’on sélectionne un candidat externe pour un poste-clé, plutôt qu’un candidat interne
  • lorsque l’on choisit entre plusieurs candidats identifiés
  • lorsque l’on repositionne un collaborateur à l’interne (inplacement)

La sélection comprend en général une notion de succès ou d’échec, d’acceptation ou de rejet, de suite possible à une carrière ou non. Elle fait naître beaucoup d’attentes, beaucoup d’émotions. Par conséquent, elle conduit souvent à des situations traumatisantes, à des sensations d’échec, à une humiliation, voire à des remises en cause profondes. Cela peut se traduire souvent par le départ de l’entreprise, ou une démobilisation importante, synonyme de gaspillage de potentiel humain.

Le processus de sélection: conditions de succès

Une bonne détection des potentiels présuppose trois conditions principales:

  1. Une définition claire des exigences pour un poste, ou pour une mission. L’expérience montre à ce sujet que des sélections sont souvent faites sans référence à des profils de postes, ou alors font référence à des profils inadéquats, qui constituent souvent plus un alibi qu’une réelle réflexion sur les critères absolument indispensables pour le succès dans une mission.
  2. Une prise en compte systématique du potentiel humain, dans sa globalité, ainsi que des objectifs de chacun, de leurs aspirations.
  3. Cette évaluation du potentiel se fera dans le cadre d’un entretien d’évaluation. Le succès de ce dernier présuppose un contexte de dialogue ouvert et franc, où le collaborateur se sent pris en considération, compris, informé. Il implique aussi d’adopter une perspective d’évolution, de progression, de développement. Au cours de l’entretien, l’évaluateur cherchera à mesurer l’écart entre le poste et le candidat, de manière à réduire le risque d’échec de la sélection.

Examinons ces conditions plus en détails:

1. Une définition claire des exigences d’un poste

Définir les exigences d’un poste revient à définir les critères de succès dans l’ensemble des dimensions qui le composent, tels que les connaissances techniques, professionnelles, linguistiques requises, l’expérience, le savoir-faire, les capacités personnelles, les valeurs…Cette définition impose une hiérarchisation des exigences: quels sont les critères de succès dont on ne peut en aucun cas se passer, par rapport à ceux qui peuvent être acquis, développées? Ce profil peut  être élaboré de différentes manières:

  • par une personne (en général le supérieur direct)
  • par un groupe
  • par une démarche systématique pour analyser les « incidents critiques »: analyse des difficultés extrêmes rencontrées dans l’accomplissement d’une activité
  • par l’analyse du potentiel de tous les individus effectuant la même activité. On analyse alors deux groupes dans le service: le groupe considéré comme très performant, et celui qui l’est le moins. A partir de la comparaison des profils des deux groupes, on pourra identifier des critères discriminants, ou des critères de succès des domaines technique et personnel qui différencient le groupe performant de celui qui l’est moins. Ceci permet alors de définir de manière fiable les exigences du poste.

La nécessité d’une définition fiable du profil des exigences provient de:

  • la tendance des sélectionneurs de rechercher souvent « le meilleur candidat », plutôt que celui qui correspond le mieux au poste. La sélection du potentiel le plus fort peut mener à un échec, si le potentiel ne peut être utilisé à court ou moyen terme
  • la tendance à une certaine subjectivité, à la prise en compte de phénomènes de sympathie ou d’antipathie
  • la tendance à recruter en fonction du chef de service, car les collaborateurs deviennent tributaires du chef en question pour leur succès ; dans ces cas, la référence à l’ »esprit de l’entreprise »  risque aussi de s’estomper.

2. Une prise en compte systématique du potentiel des individus

Le potentiel d’un individu est un ensemble de plusieurs dimensions, que nous regroupons ici dans les trois catégories suivantes (graphique):

  1. le potentiel « technique »:  c’est celui de la formation de base, des connaissances techniques et professionnelles, du savoir-faire, de la maîtrise des langues, de l’expérience passée…
  2. le potentiel « physique »: c’est celui de la capacité physique d’un individu de fournir la quantité de travail requise (santé, vitalité, énergie…), mais aussi celui de l’apparence, du look, de l’image donnée.
  3. le potentiel « personnel »: c’est celui des valeurs, des motivations, mais aussi celui véhiculé par la personnalité même du candidat, et qui se répercutera sur sa capacité à communiquer, à diriger, à gérer, à analyser et décider, etc.

Quel que soit le poste en question, ces trois potentiels sont indispensables. Cependant, leur importance relative varie selon les cas: un potentiel physique faible, une santé précaire, voire une présentation médiocre seront des obstacles très importants pour une activité efficace, voire pour l’occupation de certaines fonctions. Un potentiel technique faible sera dans tous les cas un handicap, insurmontable pour un spécialiste, gênant dans les autres cas.

La nature et l’importance du potentiel personnel constitueront pour leur part les critères de différenciation principaux entre des individus ayant des potentiels techniques et physiques à peu près comparables. C’est l’utilisation et la valorisation de ce potentiel qui fera en fin de compte la différence compétitive entre deux entreprises. Mais comment procéder à l’analyse de ce potentiel?

L’identification et l’évaluation du potentiel peut se situer à deux niveaux: celui de l’observation et de l’évaluation de comportements, et celui de l’analyse du potentiel intrinsèque de la personne.

a) L’observation et l’évaluation de comportements:

On part du principe que d’une part les comportements actuels reflètent le potentiel de la personne, et d’autre part que ces comportements ont une valeur prédictive sur les comportements futurs. Cette approche est effectuée dans le cadre d’entretiens, d’ »Assessment Centers » ou « Development Centers« . L’observation régulière des comportements du collaborateur peut être faite dans le cadre de l’exercice de sa fonction.

  • Les entretiens d’évaluation (guide de conduite)dans le cadre d’entretien, la dimension comportements peut être identifiée par une référence systématique à des situations concrètes, vécues, dans lesquelles les dimensions qu’on souhaite évaluer peuvent s’exprimer. Par exemple, pour identifier la capacité de prise de décision d’un individu, on lui demandera de faire référence à une situation récente dans laquelle il a dû prendre une décision. On lui demandera de la décrire précisément, en définissant le contexte, les objectifs, les acteurs. On lui demandera ensuite de montrer comment il a agi, et quels résultats il a obtenu. Des questions complémentaires, précises, permettent assez facilement de déceler si l’individu invente, imagine, ou s’il fait réellement référence à une situation qu’il a vécue.
  • Les « Assessment Centers » (guide de conduite) visent quant à eux à mettre l’individu dans les situations les plus critiques qu’il rencontrera dans le cadre de la fonction visée, d’observer sa manière de se comporter, d’agir, de réagir, et d’atteindre les objectifs fixés. L’évaluation résultera des observations.
  • Les « Development Centers » sont construits de manière similaire, mis-à-part le fait qu’ils visent non à la sélection, mais au développement des comportements de la personne qui l’empêchent d’aboutir au succès.

Dans tous les cas où le collaborateur exprime naturellement son potentiel, l’observation de comportements permettra de remonter au potentiel intrinsèque de la personne.

Toutefois, une personne peut vivre une période difficile, se sentir peu à l’aise dans un contexte d’observation, ou souffrir d’un certain blocage de son potentiel. Dans ces cas, l’évaluation résultante sera défavorable. Pourtant la personne n’aura pas révélé son potentiel réel. Il en résultera donc un écart entre le potentiel et l’observation des comportements, qui rendra probablement l’acceptation des résultats difficile. Si les résultats sont suivis d’une décision négative, synonyme d’échec, ils risqueront d’avoir un impact destructeur sur le développement de l’individu, ou de se traduire par son départ de l’entreprise.

b) L’analyse du potentiel « intrinsèque » de la personne, au moyen d’outils d’évaluation:

De  nombreux outils sont utilisés pour l’évaluation, qu’il s’agisse de tests psychométriques (mis en oeuvre dans le cadre de « bilans de potentiels »), de la graphologie, de la morpho-psychologie, de la PNL, etc. Nombreux sont les adeptes de ces méthodes, mais nombreux sont aussi leurs détracteurs. Les causes en sont l’absence de validation de nombreux outils par rapport à la population de référence, la fiabilité souvent non-démontrée, les possibilités de manipulation rendant incertaine l’adhésion de la personne, etc. A cela s’ajoute une dimension éthique essentielle, qui réside dans le fréquent manque de communication des résultats au candidat, lors d’un entretien au cours duquel il peut s’exprimer et confirmer ou remettre en cause les résultats obtenus.

Le sérieux des outils se vérifie de la manières suivante:

  • l’outil a-t-il été validé par rapport à la population locale?
  • l’outil a-t-il été validé de manière scientifique, dans sa valeur analytique et prédictive?
  • l’outil offre-t-il des conditions de passation identique pour tous les candidats?
  • l’outil permet-il d’identifier les tentatives de manipulation au niveau des réponses?
  • l’outil permet-il de comparer la manière dont l’individu se perçoit lui-même de la manière dont il est évalué par l’instrument?
  • l’outil conduit-il systématiquement à l’entretien, qui doit rester déterminant?

Lorsque ces critères sont satisfaits, le recours à des outils d’évaluation prend tout son sens, car ils permettent de disposer d’une évaluation intrinsèque du potentiel. Il permet l’objectivité de l’évaluation, qu’on pourra comparer à des observations, que ce soit dans le cadre d’un entretien, de comportements de tous les jours, ou d’un « Assessment Center ». Mais l’outil n’est qu’un moyen au service de ce qui est essentiel, c’est-à-dire l’entretien d’évaluation!

3. L’entretien d’évaluation

La compréhension complète de l’évaluation ne peut se faire qu’en présence du collaborateur ou du candidat. A partir des résultats auxquels conduit l’outil, l’évaluateur ne peut échafauder que des hypothèses ; c’est l’individu qui fournira, en se référant à des situations concrètes vécues, les explications réelles de certains résultats.

L’entretien entre l’évaluateur et le collaborateur sera idéalement complété par un entretien à trois, en présence du chef hiérarchique. Ce dernier pourra exprimer son évaluation, ses observations. Ensemble, la compréhension du potentiel de la personne et de ses comportements pourra être étendue, approfondie, validée. Le chef saura mieux comment encadrer le collaborateur, et leur communication s’en trouvera grandement facilitée.

En cas de désaccord sur l’évaluation, en cas aussi de prise de conscience insuffisante, il pourra être utile de recourir à des simulations ponctuelles, centrées sur les dimensions à éclaircir. On recourra dans ce cas à la méthodologie des « Development Centers ». On ne fera de simulations que pour les critères où les avis divergent.

Le processus d’évaluation devient ainsi rapide, performant, individualisable, léger. Il intègre à la fois les capacités de certains outils d’évaluation, les résultats d’entretiens et ceux résultant d’observation de terrain ou suite à des simulations. Le succès complet de la démarche dépendra cependant encore de la qualité du dialogue et de la communication, et de l’éthique dans la détection de potentiels.

Les conditions relatives au dialogue et à la communication présupposent que l’individu se sente compris, considéré, respecté et valorisé dans ses compétences et ses qualités intrinsèques. Dans ce cas, il sera beaucoup plus facile d’orienter le collaborateur sur la voie qui sera la meilleure pour valoriser et développer son potentiel. On définira avec lui les caractéristiques de l’environnement dans lequel son potentiel s’exprimera le mieux, et les moyens de remédier aux insuffisances observées. Il pourra s’agir de cours, de séminaires, mais aussi de coaching, de mises-en-situation, de « job rotation », voire d’une démarche de développement personnel.

Ce sera aussi l’occasion d’aborder, en les validant ou en les remettant en cause, les réels objectifs des collaborateurs.

Une sélection dynamique

Le but de la démarche consiste à optimiser l’adéquation poste-individu. En d’autres termes, il s’agit d’optimiser, dans le temps, l’écart qu’il y a entre les exigences d’un poste et les aptitudes d’un collaborateur. Précisons d’emblée que cet écart ne doit pas être nul. En effet, maîtriser parfaitement un poste ne permet plus le développement. En revanche, il s’agit de qualifier l’écart, de mesurer le risque pris. Il conviendra de mettre en relation les exigences principales d’un poste et les forces et faiblesses d’un individu. Si ces exigences correspondent aux forces de l’individu, il est probable qu’il pourra « grandir » dans son activité. C’est là que les résultats du développement seront les plus spectaculaires. En revanche, si elles correspondent aux points faibles d’un individu, le risque est très considérable que le collaborateur se fatigue, se démotive, consume son énergie à ce niveau-là. Une telle situation se répercutera d’ailleurs sur l’ensemble de son potentiel, qui s’en trouvera réduit.

Des aménagements sont cependant aussi possibles, en général, du côté du poste lui-même. Répartition différente des responsabilités entre plusieurs personnes, coaching particulier dans les dimensions exposées, etc. Les meilleurs résultats en développement sont obtenus lorsque la sélection est elle-même préparée.

Une sélection préparée

Le véritable travail de fond devrait être fait un à deux ans avant une nomination, afin de permettre au collaborateur de se préparer réellement au futur poste. L’identification des écarts constituera la base pour un réel plan de développement (exemple), dont l’individu sera l’acteur privilégié. On augmentera ainsi les chances de succès de la sélection et de l’intégration. Une autre dimension souvent négligée, c’est le suivi de la sélection.

Une sélection comprenant un suivi

Une détection du potentiel du collaborateur sélectionné permet de le suivre de près, de l’encadrer sur ses points faibles, de lui assurer du coaching, de l’assister dans les difficultés rencontrées sur le terrain. On augmentera aussi de la sorte, avec un effort relativement faible, les chances de succès. Ceci est valable en sélection interne ou externe (suivi du recrutement).

Conclusion: une sélection dynamique et évolutive

La sélection constitue l’une des activités essentielles du management. Pour être pertinente, elle sera toujours effectuée par rapport à des exigences de poste clairement définies, et qui prennent en compte la culture de l’entreprise. Le potentiel des candidats (internes ou externes) à un poste doit lui aussi être évalué de manière aussi objective, fiable et équitable que possible, en tenant compte de ses trois dimensions: potentiel techniquepotentiel physique et potentiel personnel.

Pour analyser le potentiel personnel, des outils d’évaluation validés peuvent être d’une grande utilité. Ils seront mis en regard des observations récoltées lors d’entretiens, ou en situation d’emploi (réelle ou simulée). Cette approche nécessite une éthique rigoureuse dans l’évaluation du potentiel et dans l’entretien de feedback.

L’activité de sélection ne se termine pas avec le choix du candidat: un suivi de la sélection, permettant une intégration plus rapide dans la fonction, est intéressant. Par ailleurs, un suivi des candidats internes non retenus, dans le but d’une démarche de développement, permet d’éviter le sentiment d’échec.

Enfin, nous vous proposons un processus complet d’évaluation en Assessment Center avec des exemples d’exercices et de jeux de rôles dans l’article « Le processus d’évaluation des compétences par Assessment Center ».

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